Catherine Beau-Ferron : 900 pieds carrés d’amour pour le territoire

« La Haute-Gaspésie est un territoire tout en contraste », confie l’artiste visuelle Catherine Beau-Ferron. Contrastante dans ses couleurs, entre fleuve, ciel et montagnes aux humeurs changeantes; contrastante dans ses textures, entre douceur du sable fin et dureté des rochers saillants; contrastante dans sa température, prise dans une valse quotidienne de grandes chaleurs et d’une brise polaire; contrastante même dans les âmes qui l’animent, entre la rudesse d’une confiance inébranlable et la délicatesse d’une gentillesse désintéressée.

Cette dissemblance harmonieuse, cette hétérogénéité heureuse habite Catherine depuis maintenant 12 ans. Montréalaise d’origine installée à Cap-au-Renard, elle aussi est un contraste ambulant. Une urbaine qui a embrassé la vie paysanne. Une dessinatrice qui remise ses crayons au gré des aléas de l’existence. Une artiste frondeuse qui préfère laisser parler ses œuvres. Catherine a refait une place de choix à l’art dans sa vie il y a quatre ans, et depuis, elle s’est adonnée au dessin, à l’illustration et à l’écriture. L’idée d’une fresque murale a germé avec un appel de projets du Conseil des arts et des lettres du Québec. Sa proposition fit partie de la sélection de 14 projets artistiques et littéraires pour la Gaspésie. Mais où Catherine allait-elle décider de déployer ses échafauds et projeter son concept plus grand que nature?

C’est sillonnant les villages avoisinants et prenant le « croche » de la rue Principale Ouest à Marsoui que Catherine trouve enfin son canevas géant de 900 pieds carrés. C’est l’une des façades du restaurant La Couquerie qui accueillera sa vision et ses coups de pinceau. Fermée depuis 2014 à la suite des ravages de l’ouragan Arthur, cette bâtisse emblématique trône au centre-ville, lieu de rassemblement familier tout indiqué pendant des décennies, particulièrement pour les travailleurs de scierie qui y logeaient, à une autre époque.

Les instances locales sont emballées, et plusieurs partenaires enjoués, dont Groupe GDS, s’allient à l’ambition convaincante de Catherine. Avec cet accueil enthousiaste, Catherine se garantit une liberté créative totale, une carte blanche sur une toile vierge. Mais elle tient à ce que sa murale soit ancrée dans la communauté qui lui tend les bras; cette communauté qui, au fil des cinq semaines de travail, la klaxonne, la prend en photo, la félicite, et lui confirme qu’elle est bien au bon endroit.

Pour aborder son projet de grandeur, Catherine décide d’exploiter des thèmes récurrents dans sa pratique : notre lien avec le paysage, le territoire sous tous ses aspects, tant nourricier que touristique et forestier, cette porosité entre l’humain et son environnement, l’influence des éléments sur notre être. On y trouve donc différents personnages en symbiose avec la nature qui les entoure, les fusionne, les métamorphose. Pour représenter le paysage, Catherine pige bien sûr dans le grandiose habituel, soit la mer, la forêt, les montagnes, mais aussi dans le « micro grandiose », en intégrant des champignons, de la mousse, et ce, tout en s’amusant avec les échelles et les perceptions. Serait-ce une chute d’eau aux remous glacés? Ou serait-ce plutôt un habitat de polypores prenant d’assaut un tronc? Vois-je des algues dansant au rythme des courants ou bien des herbes folles discutant avec le vent? La réponse se trouve dans les yeux de celui qui regarde.

Et bien sûr, à l’image de sa terre d’accueil, l’œuvre présente aussi son lot de contrastes intéressants : des couleurs chaudes et froides, du mouvement et du statisme, des lignes droites et des courbes, du vrai et de l’invraisemblable, de la plénitude et des fragments, de l’ombre et de la lumière.

Teinter de la lumière du bleu, du rouge et du jaune les jours des Marsoises et Marsois, et les murs d’un bâtiment éteint… c’est ce que Catherine souhaitait, et simplement apporter une joie au cœur de ceux qui ne font que passer, qui s’arrêtent pour contempler, qui y sont par volonté ou par pur hasard. Pour que chaque spectateur devienne aussi un contraste ambulant, en admiration devant le temps en suspens, pendant que la vie file à toute allure.

Si vous prévoyez un passage en Gaspésie, allez à Marsoui pour admirer la murale de Catherine, et pensez faire un stop à la Maison de la culture de Sainte-Anne-des-Monts pour découvrir son exposition Les mondes parallèles, en place jusqu’au 28 août.

Les mondes parallèles proposent un voyage dans l’intime et la mémoire avec des dessins tirés de séances de pose (modèles vivants) qui sont aussi des rencontres, des moments d’amitié, de partage.